Le fil à la patte
Il a une drôle d’allure le fil à la patte.
Tantôt vêtu d’une blouse blanche et de forceps aseptisés.
Tantôt le sourire tendre d’une femme qui pose sur vous un regard étonné.
Tantôt la voix bourru et les sourcils broussailleux de l’homme qui se sent gauche.
Tantôt une inconnue qui s’efforce de consoler ou de coller un pansement sur un genou imbibé de mercure au chrome.
Tantôt d’autres petits bouts aux cris aigus qui cherchent aussi par quel bout se prendre.
Tantôt un autre qui prend votre place au sein et qu’on déteste dès le premier instant.
Tantôt une silhouette qui tourne le dos au tableau noir et à votre individualité.
Tantôt trente quatre autres paires d’yeux regardant dans la même direction sans voir la même chose.
Tantôt une maison qui devient étrangère et ennemi.
Tantôt un poster que l’on idolâtre.
Tantôt des boucles blondes qui nous échappent.
Tantôt un corps fidèle depuis des années qui nous boude.
Tantôt une musique déposant son plein d’émotions.
Tantôt quelqu’un assis sur le bord de l’autoroute.
Tantôt une plage dans la chaleur des vacances d’été.
Tantôt un amphithéâtre bondé où la solitude vous prend à la gorge.
Tantôt le manteau de l'hiver qui vous engonce.
Tantôt une main tendue alors qu’on se voulait fort.
Tantôt la sonnerie familière du réveil matin.
Tantôt le métro quotidien roulant vers les trois huit.
Tantôt un bouquet de fleurs lancé en l’air et rattrapé au vol.
Tantôt une lune aux couleurs de miel.
Tantôt l’étourdissement d’un pas de valse.
Tantôt la tentation d’y croire.
Tantôt la déception d’y avoir cru.
Tantôt le retour à la raison d’être déraisonnable.
Tantôt le baiser magique de la cigogne.
Tantôt vêtu d’une blouse blanche et de forceps aseptisés.
Puis le sourire tendre d’un enfant qui pose sur vous un regard étonné.
Et enfin plus de tantôts, mais des toujours et à jamais.
Il a une drôle d’allure le fil à la patte.