Un Corbeau au 36 : extrait de roman
(Certains propos sont susceptibles de choquer la sensibilité des plus jeunes)
Prologue
Le temps lui était compté. Elle était consciente de prendre un risque important, mais elle n’avait pas le choix. Il fallait qu’elle le fasse, elle ne pouvait plus vivre dans le secret. Elle en souffrait trop. Au début, elle avait encore l’espoir de pouvoir s’en sortir. Elle en avait aussi l’envie. Mais aujourd’hui, après les années de cauchemars, d’anxiété et de douleur, elle était épuisée physiquement et moralement. Sursauter au moindre bruit, être sur le qui-vive 24 heures sur 24, cohabiter avec la peur, ou plutôt survivre entre un antidépresseur, deux calmants et un barbiturique, voilà de quoi était faite son existence.
Elle écrivit rapidement les mots à l’encre indélébile. Telle une empreinte qu’on laisse dans ce monde pour rappeler aux générations à venir qu’un jour, on a existé. Une marque au fer rouge qu’elle infligerait aux autres comme on la lui avait imposée de force. Alors peut-être, se rapprocherait-elle d’eux, et l’espace d’un instant, elle se sentirait moins seule. Elle ne voulait pas qu’on oublie. Elle-même ne le pouvait pas. Elle ne le pourrait jamais.
Chapitre 1
Le commissaire Stéphane Fontaine étendit ses jambes. Sa cuisse droite était ankylosée et son genou le lançait. Il ne connaissait que trop cette sensation désagréable de tiraillement au niveau de la rotule. Il massa machinalement le muscle en poussant un soupir et se dit : tu vieillis mon vieux Fontaine ! Il serait peut-être temps que tu réalises que tu n’as plus vingt ans. Puis, il sourit de sa tentative vaine de persuasion. Il savait qu’il n’en croyait pas un mot et se rappelait le surnom donné par ses amis de l’ENSP[1] :Garde à vous De Jouvence ! Il est fan de cette fontaine le Steph !
À trente-six ans, il faisait beaucoup plus jeune. Malgré son visage hors du commun, il avait beaucoup de charme avec ses cheveux châtains coiffés à la James Dean et ses yeux bleus. Tombant parfaitement sur sa silhouette spaghettis, les costumes noirs avec pantalon resserré au bas qu’il portait avec une chemise blanche et une fine cravate noire, lui donnaient un air de chanteur britannique.
Stéphane avait besoin de clarté pour réfléchir et se concentrer. L’ordinateur et le clavier étaient disposés face à lui, les bacs contenant les dossiers en cours, placés sur sa gauche et classés par ordre d’importance. Une lampe en forme de champignon posée de l’autre côté éclairait la table d’une lumière jaune. En cette matinée d’hiver, la petite pièce était sombre. Située sous les toits, elle offrait une vue sur le ciel nuageux grâce à un velux. Entrouvert, celui-ci permettait à l’air frais du dehors de s’engouffrer dans le bureau surchauffé. Son radiateur en fonte était bloqué en position maximale et le froid qui sévissait dehors ne laissait guère le choix quant au dosage du chauffage central. La température au 36 était difficilement homogène. Les grands espaces et les couloirs à n’en plus finir contrastaient avec l’exiguïté des locaux réservés aux policiers qui étaient parfois à l’étroit. Ils travaillaient à plusieurs dans un bureau et œuvraient en équipe. Stéphane travaillait avec méthode et ne supportait pas le désordre. En tant que commissaire, il était seul dans son espace de travail, ce qui ne représentait un avantage à ses yeux que pour cette raison. Sinon, la proximité du groupe, comme au temps où il était lieutenant, lui manquait, et il était le plus souvent possible dans les autres bureaux.
Le commissaire reçut un bref appel téléphonique. Après avoir raccroché, il composa le numéro du commandant Legrand, tout en préparant sa sacoche et en enfilant sa veste. C’est alors qu’il bougea son clavier du coude par inadvertance.
− Allô ?
− C’est Stéphane. On nous demande de nous dépêcher sur le quartier latin… Une femme qui aurait reçu plusieurs coups de couteau dans le cœur. Apparemment décédée… On y va pour apprécier la situation ?... Vous me récupérez ?... Ah une nouvelle stagiaire ?... D’accord, envoyez-moi le
lieutenant Simon. On se retrouve sur place.
Il était sur le point de sortir et s’apprêtait à remettre machinalement son clavier en place sous l’écran, quand son regard fut attiré par une forme noire. Intrigué, il se rapprocha et découvrit que ce qu’il avait pris pour une tâche d’encre, était en réalité un assemblage de petites lettres formant le mot bête.
Extrêmement surpris, il tira sur le fil pour donner du mou au clavier et le déplaça. Il découvrit alors des phrases ressemblant à des pattes de mouche,
écrites à même le bois de son bureau :
Cher Salopard,
Je me demande ce que tu as ressenti quand tu as posé ton couteau sur ma gorge et que de l’autre main, tu as empoigné mes cheveux pour me faire plier comme une bête. Est-ce que ton cœur battait la chamade quand je me suis agenouillée, dos à toi, en te suppliant de m’épargner ? À ce moment-là, je pouvais encore parler.
Tu m’as retournée et tu as collé ma tête contre tes poils pubiens en la frottant et en la pressant fort. Tu étais excité quand tu as fourré ta bite dans ma bouche qui criait « au secours ». Quel effet ça t’a fait de me défoncer le gosier jusqu’à ce que j’en vomisse ?
M’as-tu alors cognée parce que j’étais « une sale pute dégueulasse avec sa puanteur de déjection », ou m’aurais-tu frappée de toute façon ? Mon visage tuméfié et sanguinolent ne t’a pas empêché de me regarder droit dans les yeux quand tu as fourré ton poing dans ma vulve ecchymosée.
Est-ce que tu as pris du plaisir dès que tu as braillé « Gueule, salope ! Hein que c’est bon ? Ah oui, c’est bon ! Tiens, t’en veux encore ? Attends, j’écarte encore plus les doigts à l’intérieur. Tiens ! T’inquiète pas, t’auras du rab… C’est qu’elle aime ça la garce. Ah t’en redemandes ? Plus fort ? Tiens, tiens, tiens ! » ?
Ou seulement quand tu as joui en déversant ta pourriture en moi après avoir laminé mes seins de tes mains de glace, et ravagé mon vagin de ta queue dure, encore, encore et encore ?
Qu’est-ce que ça t’a fait ? Dis-moi, je t’en prie ! Que je cesse de me culpabiliser, que je comprenne l’incompréhensible, que je me rapproche de toi pour apprivoiser ma peur, que je guérisse de ce traumatisme incurable…
P.S.
[1]
ENSP : Ecole Nationale Supérieure de Police
[2]
DIPJ : Direction Interrégionale de le Police Judiciaire
Prologue
Le temps lui était compté. Elle était consciente de prendre un risque important, mais elle n’avait pas le choix. Il fallait qu’elle le fasse, elle ne pouvait plus vivre dans le secret. Elle en souffrait trop. Au début, elle avait encore l’espoir de pouvoir s’en sortir. Elle en avait aussi l’envie. Mais aujourd’hui, après les années de cauchemars, d’anxiété et de douleur, elle était épuisée physiquement et moralement. Sursauter au moindre bruit, être sur le qui-vive 24 heures sur 24, cohabiter avec la peur, ou plutôt survivre entre un antidépresseur, deux calmants et un barbiturique, voilà de quoi était faite son existence.
Elle écrivit rapidement les mots à l’encre indélébile. Telle une empreinte qu’on laisse dans ce monde pour rappeler aux générations à venir qu’un jour, on a existé. Une marque au fer rouge qu’elle infligerait aux autres comme on la lui avait imposée de force. Alors peut-être, se rapprocherait-elle d’eux, et l’espace d’un instant, elle se sentirait moins seule. Elle ne voulait pas qu’on oublie. Elle-même ne le pouvait pas. Elle ne le pourrait jamais.
Chapitre 1
Le commissaire Stéphane Fontaine étendit ses jambes. Sa cuisse droite était ankylosée et son genou le lançait. Il ne connaissait que trop cette sensation désagréable de tiraillement au niveau de la rotule. Il massa machinalement le muscle en poussant un soupir et se dit : tu vieillis mon vieux Fontaine ! Il serait peut-être temps que tu réalises que tu n’as plus vingt ans. Puis, il sourit de sa tentative vaine de persuasion. Il savait qu’il n’en croyait pas un mot et se rappelait le surnom donné par ses amis de l’ENSP[1] :Garde à vous De Jouvence ! Il est fan de cette fontaine le Steph !
À trente-six ans, il faisait beaucoup plus jeune. Malgré son visage hors du commun, il avait beaucoup de charme avec ses cheveux châtains coiffés à la James Dean et ses yeux bleus. Tombant parfaitement sur sa silhouette spaghettis, les costumes noirs avec pantalon resserré au bas qu’il portait avec une chemise blanche et une fine cravate noire, lui donnaient un air de chanteur britannique.
Stéphane avait besoin de clarté pour réfléchir et se concentrer. L’ordinateur et le clavier étaient disposés face à lui, les bacs contenant les dossiers en cours, placés sur sa gauche et classés par ordre d’importance. Une lampe en forme de champignon posée de l’autre côté éclairait la table d’une lumière jaune. En cette matinée d’hiver, la petite pièce était sombre. Située sous les toits, elle offrait une vue sur le ciel nuageux grâce à un velux. Entrouvert, celui-ci permettait à l’air frais du dehors de s’engouffrer dans le bureau surchauffé. Son radiateur en fonte était bloqué en position maximale et le froid qui sévissait dehors ne laissait guère le choix quant au dosage du chauffage central. La température au 36 était difficilement homogène. Les grands espaces et les couloirs à n’en plus finir contrastaient avec l’exiguïté des locaux réservés aux policiers qui étaient parfois à l’étroit. Ils travaillaient à plusieurs dans un bureau et œuvraient en équipe. Stéphane travaillait avec méthode et ne supportait pas le désordre. En tant que commissaire, il était seul dans son espace de travail, ce qui ne représentait un avantage à ses yeux que pour cette raison. Sinon, la proximité du groupe, comme au temps où il était lieutenant, lui manquait, et il était le plus souvent possible dans les autres bureaux.
Le commissaire reçut un bref appel téléphonique. Après avoir raccroché, il composa le numéro du commandant Legrand, tout en préparant sa sacoche et en enfilant sa veste. C’est alors qu’il bougea son clavier du coude par inadvertance.
− Allô ?
− C’est Stéphane. On nous demande de nous dépêcher sur le quartier latin… Une femme qui aurait reçu plusieurs coups de couteau dans le cœur. Apparemment décédée… On y va pour apprécier la situation ?... Vous me récupérez ?... Ah une nouvelle stagiaire ?... D’accord, envoyez-moi le
lieutenant Simon. On se retrouve sur place.
Il était sur le point de sortir et s’apprêtait à remettre machinalement son clavier en place sous l’écran, quand son regard fut attiré par une forme noire. Intrigué, il se rapprocha et découvrit que ce qu’il avait pris pour une tâche d’encre, était en réalité un assemblage de petites lettres formant le mot bête.
Extrêmement surpris, il tira sur le fil pour donner du mou au clavier et le déplaça. Il découvrit alors des phrases ressemblant à des pattes de mouche,
écrites à même le bois de son bureau :
Cher Salopard,
Je me demande ce que tu as ressenti quand tu as posé ton couteau sur ma gorge et que de l’autre main, tu as empoigné mes cheveux pour me faire plier comme une bête. Est-ce que ton cœur battait la chamade quand je me suis agenouillée, dos à toi, en te suppliant de m’épargner ? À ce moment-là, je pouvais encore parler.
Tu m’as retournée et tu as collé ma tête contre tes poils pubiens en la frottant et en la pressant fort. Tu étais excité quand tu as fourré ta bite dans ma bouche qui criait « au secours ». Quel effet ça t’a fait de me défoncer le gosier jusqu’à ce que j’en vomisse ?
M’as-tu alors cognée parce que j’étais « une sale pute dégueulasse avec sa puanteur de déjection », ou m’aurais-tu frappée de toute façon ? Mon visage tuméfié et sanguinolent ne t’a pas empêché de me regarder droit dans les yeux quand tu as fourré ton poing dans ma vulve ecchymosée.
Est-ce que tu as pris du plaisir dès que tu as braillé « Gueule, salope ! Hein que c’est bon ? Ah oui, c’est bon ! Tiens, t’en veux encore ? Attends, j’écarte encore plus les doigts à l’intérieur. Tiens ! T’inquiète pas, t’auras du rab… C’est qu’elle aime ça la garce. Ah t’en redemandes ? Plus fort ? Tiens, tiens, tiens ! » ?
Ou seulement quand tu as joui en déversant ta pourriture en moi après avoir laminé mes seins de tes mains de glace, et ravagé mon vagin de ta queue dure, encore, encore et encore ?
Qu’est-ce que ça t’a fait ? Dis-moi, je t’en prie ! Que je cesse de me culpabiliser, que je comprenne l’incompréhensible, que je me rapproche de toi pour apprivoiser ma peur, que je guérisse de ce traumatisme incurable…
P.S.
[1]
ENSP : Ecole Nationale Supérieure de Police
[2]
DIPJ : Direction Interrégionale de le Police Judiciaire